À Propos

Promenade dans un labyrinthe

Sur la toile blanche, un jus ocre brun est appliqué à la brosse. Une première matière est ainsi posée. Puis un chiffon pressé sur la surface délivre ses empreintes aléatoires précipitant alors l’artiste dans son imaginaire.

Temps de réflexion. Quelques accents de fusain ça et là, puis petit à petit, les formes se dessinent, le monde d’André apparaît. Le fil de la création se déroule au fur et à mesure de la réflexion, du travail de la matière. De ce qui paraissait insondable un monde émerge, s’organise et s’anime.

La composition qui se révèle est chargée de la grimace ou du sourire.

Il se livre une bataille du visible et de l’invisible, ce qui subsiste est une victoire non pas de l’artiste mais de la matière.

La vie palpite à fleur de toile.

Fantastique univers d’oiseaux, de poissons, de liens réunis dans un univers d’air et d’eau, insolite étrange et connu de lui seul. André nous livre la vision de son monde.

Onirique et visionnaire.

Avant, pendant ou après la tourmente, la colère ou la paix retrouvée d’un monde en mutation où l’homme est en communion avec le vivant du dessous des mers ou de sur la terre.
La ligne d’horizon s’estompe, terre et mer se rejoignent.

Il y a tant d’images engrangées, de formes entremêlées, d’étrangeté qu’on s’étonne et se surprend à vouloir percer le mystère de leur
subtile entente. Laissons nous simplement porter.

Anne Vassallo

« Il faut voir André Maigret à l’œuvre
Sa dévotion de la femme est jalousement esthétique.

Ici il ébauche l’esquisse d’un contour, d’une courbe, d’une rondeur.
Là il hachure passionnément la toile de traits s’enchevêtrant.
Mais aussi bien se brouillant, se fondant dans leur confusion même.

Et, peu à peu, dans l’agonie des figures s’élève le « schème » d’une forme libérée de son propre embrouillement.

Le portrait de la femme s’esquisse ainsi par delà les ébauches
qui sont autant de variations ou modulations indéfiniment répétées,
telle la grande œuvre musicale mûrit son thème en l’arrachant
par maintes reprises à l’évanescence du temps.

En sourdine toute une gamme de bleu gris subtils et paradoxalement lumineux.

Miracle d’une fusion : celle du dessin avec la couleur qui l’imprègne sans l’effacer.

La femme est là. Surgie d’un abîme insondable
André Maigret la fait comparaître nue dans toutes les attitudes
Assise, lovée dans un fauteuil, étendue sur un divan.
Elle, toujours elle. Présence soumise et rebelle au regard.
Insaisissable et on ne peut plus présente.

C’est dans cette création de formes en présence
Dans cette infinie genèse de leur formation
Qu’André Maigret est incontestablement sans rival.

Comme la beauté féminine, son œuvre se dérobe à la possession de désir
C’est que son unité indécomposable et son achèvement sans cesse
Inachevée la soustraient à l’envie mais aussi à la mort.

Et si toute passion est, en son fond, quête de l’absolu
C’est bien parce que le gris obscur du désir s’acharne en vain
A éteindre la beauté. »

Christian Roche

« Le temps s’étire pour devenir espace et matière de la peinture d’André Maigret.
C’est lui qui tisse l’Histoire des scènes déclinées au fil des rencontres de la psyché avec elle-même et ses lieux favoris : le vide structuré et l’évasion, le clos et le divan. Comme si le tableau constituait en soi une nouvelle aire de « je ». Le décor varie ses perspectives géométrique et ses échappées à partir du nœud de la toile d’où vient toute sa dynamique : les personnages, ou les deux moitiés, une femme presque toujours, et son double amoureux, liés déliés ; la toile comme un rendez-vous. On attend, et c’est le développement de cette attente ; on s’y confronte à l’autre, ou l’on part dans le rêve, mais on ne sait pas toujours si cela ne se passe pas en songe, cependant que le cadre demeure.
Symbole de la fuite possible, réelle ou imaginaire, la présence d’une issue lumineuse, d’une cheminée d’un miroir, d’un carton à dessins ni ouverts ni fermés, attirant et inquiétants : obstacles tout de même à franchir pour la conscience. Ainsi, la peinture d’André Maigret invite à s’abandonner à la rêverie pour se découvrir tout à fait et dans ses multiples résonances ; étant celle de l élaboration lente, sa contemplation se nourrit elle-même du temps. La femme se révèle alors jusqu’au moment où elle disparaît; ou se cache jusqu’à ce qu’elle se dévoile. Comme le rêve brouille l’image quand elle nous est le plus proche pour la perdre irrémédiablement. L’œuvre de Maigret est un dialogue entre les différents niveaux de réalité de la peinture et de l’esprit, dans une sensibilité surréaliste et métaphysique qui apprivoise, à la manière d’une longue pause de l’objectif photographique, l’invisible. »

Laurence Pythoud

A l’occasion de l’exposition Allô La Terre (2017) André Maigret renoue avec le 64bis, avenue de New York qui avait accueilli ses toiles « Tsunami » en 2008 en pleine tourmente financière.

Depuis la vague s’est retirée laissant sur la grève les agrégats du passé.

On y trouve pêle-mêle tout ce que le tsunami a vomi, tout ce que le monde n’a pas digéré et ce que la mer n’a pas voulu engloutir depuis.

Avec le ressac qui a suivi la tempête, un silence réparateur s’est posé, laissant place au questionnement. Questionnement par rapport à la matière qui s’est accumulée dans le temps, calcifiée, par rapport aux émotions qui se sont endormies dans l’attente d’être ravivées. Les toiles d’André Maigret sont des échantillons archéologiques que la vitalité du pinceau sort de la torpeur de l’oubli.
La dynamique du mouvement dans la toile traduit le ressenti du peintre au moment de la découverte de ce vécu enfoui. La matière qui se révèle dans l’éphémère de l’instant prend le peintre par main et l’emmène dans une exploration de son imaginaire qui se poursuit de toile en toile.

« Allô la Terre » paradoxalement nous invite à prendre du recul pour mieux entrevoir la rumeur du monde et nous plonger dans le magma de la vie.

Paola Beneton